mercredi 24 septembre 2008

La place Saint-Sernin et l'Hôtel Dubarry


Journées du Patrimoine 2008 .
Nous avons profité de la douceur dominicale pour rejoindre une visite guidée organisée autour de la basilique Saint-Sernin. Bien sûr nous n'étions pas les seuls à avoir eu cette idée. Et c'est un groupe d'une cinquantaine de personnes qui se pressaient autour d'une historienne passionnante mais un peu dépassée par son succès.














Il faut dire que ce jour-là, était exceptionnellement ouvert l'Hôtel du Barry (ou Dubarry), actuel siège administratif du lycée Saint-Sernin. A l'époque où j'étais lycéenne dans cet établissement (en ce temps là réservé aux seules jeunes filles !), je n'imaginais vraiment pas que le bureau du proviseur ait pu connaitre, deux siècles plus tôt, de riches heures consacrées à un tout autre apprentissage que celui des lettres classiques....


Un peu de (petite) histoire : Après la mort de Louis XV, Jean-Baptiste Dubarry (dit Le Rouet), gentilhomme toulousain grand amateur de fêtes et de jolies filles, quitte la Cour du Roi pour se retirer dans sa bonne ville de Toulouse. Grace aux largesses royales (c'est lui qui présenta à Louis XV la toute jeune et très belle Jeanne Bécu dont il était l'amant... et qu'il fit épouser -par convenance- à son frère Guillaume), il acquiert divers biens immobiliers, dont un corps de bâtiment situé place Saint-Sernin, face à la basilique.







Il fera aménager et décorer très richement, à la mode de l'époque, cet hôtel particulier plus connu sous le nom d'Hôtel Dubarry, dont il restera propriétaire jusqu'à sa mort, sous la guillotine de la Terreur.

Les Bénédictines qui rachètent le bâtiment, le transforment en "maison d'éducation" pour jeunes filles. Un excès de pudibonderie (bien regrettable) les amènera à faire détruire nombre de peintures galantes. Seul le plafond peint par l'artiste toulousain Jean-François Derôme traversera sans outrage les siècles.

A la fin du XIXème siècle, l'établissement devient un lycée. Il l'est encore aujourd'hui.


Hélas, faute de moyens et d'entretien, le témoignage que constitue cet "hôtel-lycée", avec sa rampe en fer forgé, son escalier monumental, les moulures et les peintures des pièces d'apparat, sombre lentement dans l'oubli et la poussière...

Petit concert privé dans la salle d'apparat de l'Hôtel Dubarry.
Journées du patrimoine 2008


mardi 23 septembre 2008

Le musée Saint-Raymond



Beaucoup de monde au musée en ces
"Journées du Patrimoine".
Quelques photos...
Pour se rappeler le plaisir d'un dimanche à la redécouverte des vieilles pierres de la ville !
La visite commentée, ce sera pour une autre fois.









lundi 22 septembre 2008

Hôtel des Chevaliers de Saint-Jean



Ce qu'il y a de formidable avec les journées du patrimoine, c'est qu'elles offrent l'opportunité de visiter des lieux ou des monuments interdits au public le reste de l'année. Ainsi l'Hôtel des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, désormais siège de la DRAC Midi-Pyrénées, et exceptionnellement ouvert à des visites guidées (sur rendez-vous), en ce week-end un peu spécial.
Nous étions trente néophytes ce samedi matin, qui attendions sagement de pénétrer dans l'édifice, prêts à entendre l'histoire de ce beau bâtiment..

C'est au XIIème siècle que les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem s'installent à Toulouse, dans le quartier de la Dalbade, entre l'église éponyme et celle de Saint Rémi. Là, ils édifient un cloitre, un hospice où sont accueillis indigents, malades et pèlerins faisant étapes sur la route de Saint-Jacques, mais également, outre les bâtiments annexes, des boutiques ouvertes sur la rue. Au XIVème siècle, l'enclos hospitalier prend l'appellation de "grand prieuré" et se dote de constructions nouvelles dont une imposante tour dite "tour des archives".



Du cloitre ne reste aujourd'hui que peu de choses. Seules quelques galeries ont survécu au temps. Mais la portion de galerie Sud qui subsiste, abrite encore quatre enfeus édifiés au XIIIème siècle. Pour chaque visiteur, la vision (à travers une vitre) de ces traces fragiles de notre histoire a quelque chose de profondément émouvant. Comme un trait d'union entre passé et avenir. Et un grand silence enveloppe le groupe.

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A partir du XVIIème siècle, les bâtiments médiévaux sont remplacés par un "palais" de style classique


plan de l'ancien grand prieuré en 1812


voute de la salle capitulaire,
camaïeux de gris sur fond gris avec motifs de rinceaux déliés,
coquilles, lions et croix de Malte.


Pendant la période révolutionnaire, toutes les archives du grand prieuré, et en particulier les actes attestant l'origine des biens sont saisis. Les titres de noblesse sont brûlés place des Carmes. Les autres documents sont transportés au "palais national de la préfecture". C'est la fin d'une époque.
Le grand prieuré, déserté par ses membres, connait des jours sans gloire. Successivement affectés à des services de l'armée puis vendu aux enchères à des négociants drapiers, les locaux sont remaniés, l'église détruite, le mobilier dispersé...

Le Ministère de la culture et de la communication devient propriétaire des lieux par arrêté préfectoral de 1996. C'est désormais le temps de la protection et de la restauration du patrimoine, des œuvres contemporaines voisinant dans les bureaux avec les trésors médiévaux. Une ère nouvelle pour l'Hôtel des Chevaliers de Saint-Jean.


Art contemporain - Philippe Poupet
Mur de la salle de documentation


Globe de Coronelli


Plafond restauré - détail d'un bureau


La cour intérieure


Présentation du travail d'artisanat d'art

dimanche 21 septembre 2008

21 septembre 2001 - Anniversaire


Je m'étais levée tôt ce jour-là, bien décidée à profiter du début de matinée pour mettre de l'ordre dans mes papiers et mon courrier professionnel, avant l'arrivée de ma secrétaire et notre préparation du planning de la semaine suivante.

Je me souviens (c'est une des rares fois où ma mémoire conserve la trace de ces infimes détails sans intérêt), que je portais un tailleur pantalon en lin léger, un chemisier clair et des chaussures plates. J'ai dit au revoir à mon mari qui restait à notre domicile pour travailler sur des dossiers, et j'ai quitté l'immeuble où nous habitions, dans le centre de la ville, presque en même temps que ma fille cadette qui terminait des études de chimie. J'ai marché à pied dans les rues désertes. Le matin était calme, à peine frais pour la saison. La journée promettait d'être chaude. J'ai longé la façade du club de gym des boulevards en songeant qu'il serait bien que je trouve un peu de temps pour moi...

Plongée dans mes pensées, j'ai traversé le marché des boulevards. Les acheteurs ne se pressaient pas encore dans les allées, et les commerçants papotaient entre eux tout en finissant d'installer leurs étals. Subitement j'ai pris conscience que ce marché que je connais si bien et depuis si longtemps, me paraissait tout à coup étranger. Drôle d'impression ! Depuis le 11 septembre, il y avait quelque chose d'indéfinissablement nouveau dans l'air de la ville, une sorte de tension invisible et pourtant bien palpable, qui n'épargnait pas même les commerces de plein vent.

De mon bureau, au quatrième étage d'un immeuble moderne aux parois vitrées, j'ai appelé mon fils pour lui souhaiter un joyeux anniversaire. Et je me suis plongée dans mon travail, mes lettres et mes dossiers. Le bonjour timide de ma secrétaire ne m'a pas tirée de ma concentration.

Au milieu de la matinée, alors que je regardais par la fenêtre la ville se farder des couleurs de l'automne tout en songeant qu'un petit café serait le bienvenu, je me suis sentie tanguer, bizarrement, de gauche à droite puis de droite à gauche, sans trop réaliser ce qui se passait. Quelques secondes plus tard, un grondement sourd et profond m'a confirmé que quelque chose d'anormal venait de se produire. Ma secrétaire affolée s'est précipitée vers moi, m'interrogeant du regard comme si je me devais d'avoir réponse à tout. Au même moment l'alarme de l'immeuble s'est déclenchée, créant à chaque étage et dans les coursives du bâtiment, une confusion indescriptible. Rien a voir avec l'habituelle nonchalance des exercices d'entraînement.

Après avoir mis ma secrétaire sur la bonne voie de l'issue de secours, j'ai fermé les armoires, éteint les ordinateurs et les lumières du bureau, mis l'agenda du secrétariat dans mon sac, puis j'ai claqué la porte comme à la fin d'une journée ordinaire. Mon voisin faisait de même et nous avons ensemble rejoint sur l'esplanade les rescapés de l'affolement général. De petits groupes s'étaient formés, par affinités. Je me retrouvais avec deux sympathiques occupants des étages supérieurs qui m'expliquèrent avec le sourire et moult gestes destinés à mieux me faire comprendre, combien sur les sommets le tangage est sensible. Les plus paniquées étaient les secrétaires et la mienne méritait une mention très bien.

J'appelais mon mari. Lui aussi avait senti la secousse. Cela me conforta dans l'idée que la déflagration était violente et lointaine. Alors, à l'évidence, je crus que mes inquiétudes anciennes étaient devenues réalité. J'imaginais l'explosion de la SNPE, cette usine à tuer adossée à la ville. Le phosgène qu'elle produisait sans relâche allait répandre son nuage toxique sur Toulouse et engloutir ses habitants comme ce fut le cas à Bhopal. Le pire était devant nous, j'en étais sûre. Ce pressentiment s'amplifia lorsque l'un des vigiles de l'immeuble nous indiqua que les informations qu'on venait de lui donner permettait de penser que c'était l'usine AZF, voisine de la SNPE, qui avait explosé. Alors, en un centième de seconde, j'ai pensé à ma fille, peut-être morte écrasée sous les gravas de son école de chimie, si près du site, à ma marraine âgée qui habitait à quelques rues de l'usine, à ma sœur et à mon beau-frère, dans l'hôpital qui fait face à l'usine. J'ai cru, j'ai vraiment cru qu'ils étaient tous morts. Je les voyais ensanglantés, déchiquetés par la force de la déflagration, et leurs visages souriants se superposaient à cette vision d'horreur. Et là, pour l'unique fois de ma vie, j'ai connu l'effet du stress, celui qui paralyse, annihile la pensée, bloque les fonctions vitales. Je devenais la souris du Professeur Laborit, incapable d'agir, ni même de réfléchir. Ce flottement dura plusieurs minutes pendant lesquelles je regardais parler mes voisins dans un brouillard laiteux, le corps tétanisé, la cervelle en bouillie. Enfin, reprenant mes esprits et comprenant qu'il était inutile d'attendre, je conseillais à ma secrétaire de rentrer chez elle sans tarder (il lui fallait traverser la Garonne et je supposais le métro arrêté). Puis, je partis à pied.

Dans les heures qui suivirent l'explosion, et qui me parurent les plus longues de ma vie, je ne pus rien faire qu'attendre. Les communications étaient coupées, les transports interrompus, un large périmètre autour de la zone, impossible d'accès. Je m'arrêtais au bureau de mon fils, à quelques pâtés de maison du mien. Devant ma mine angoissée, Fils Chéri consentit à m'accompagner. Sa sœur ? Sa tante, son oncle, son cousin ? Il se taisait, mais son regard était plus sombre que d'habitude, et ses enjambées si larges que je devais presque courir pour le suivre. Nous nous séparâmes. Lui franchissait le pont et poursuivait vers le Sud à la recherche de sa sœur, tandis que je regagnais mon domicile, et surveillais le téléphone. Ma gorge picotait légèrement. Je rentrai.

Mon mari, qui avait eu quelques échos de la situation, des morts et des nombreux blessés, du chaos de la zone, des quartiers ravagés et des risques toxiques me cacha ce qu'il savait pour ne pas m'affoler un peu plus. Mais je le sentais inquiet. Il avait obturé les arrivées d'air extérieur et conseillait à nos voisins de faire de même. Je ne sais si cette protection aurait été efficace (j'en doute) en cas de dispersion du phosgène, mais elle aurait eu le mérite de nous épargner quelques vapeurs chlorées si les vents avaient porté jusqu'à nous le nuage chimique qui s'effilochait lentement.

Ce n'est que quelques jours plus tard, alors que le site de la SNPE (le site le plus redoutable de toute notre zone Seveso urbaine) avait été en grande partie sécurisé, et les gaz mortels expatriés vers d'autres sites (merci pour eux!) par un incessant ballet de camions qui encombra la route nationale de l'Atlantique pendant de nombreuses semaines, que l'on apprit la réalité de ce risque de suraccident que je redoutais tant. Le Préfet s'était même, dit-on, posé la question de l'évacuation de certains quartiers de la ville. A ce stade de l'histoire, je voudrais donner un très grand coup de chapeau à tous ces pompiers et techniciens hautement spécialisés qui ont sans doute mis leur vie en danger pour éviter que le pire ne se produise, et dont l'intelligence, le professionnalisme et la modestie forcent le respect.

Mais ce 21 septembre 2001, à midi et demi, soit plus de deux heures après l'explosion, je ne savais toujours rien de ma famille. Ce n'est que vers 14 heures qu'enfin je fus partiellement rassurée par l'arrivée de ma fille, extrêmement choquée, mais à peine égratignée. Ma vieille marraine dont les vitres avaient été soufflées et qui ne devait qu'au sixième sens de son caniche adoré de n'avoir pas été écrasée par un panneau de fenêtre projeté sur le lit où elle se reposait quelques instants plus tôt, ma marraine était à l'abri chez une amie voisine. Les communications redevenaient possibles et nous avons pu rassurer nos filles éloignées qui sanglotèrent de soulagement en entendant nos voix. Mais de ma sœur, aucune nouvelle. Il était tard lorsqu'elle m'appela enfin sur mon portable : "oui ils étaient tous les trois sains et saufs, mais elle et son mari travaillaient toujours au transfert des malades vers d'autres hôpitaux, non elle n'était pas rentrée chez elle mais savait son appartement dévasté, oui son fils était à l'abri, oui elle était épuisée." Sa voix me paraissait étonnement calme, presque artificielle. Ce n'est que le lendemain que je compris vraiment. Même les reportages télévisés n'ont pu rendre parfaitement le sentiment oppressant de profonde désolation qui saisissait à la gorge en pénétrant dans la zone déchiquetée, l'air gris et vicié, les éclats de vie projetés sur le sol...

Ma marraine est morte quatre mois après l'explosion, ses vieilles bronches définitivement brûlées par les vapeurs chlorées. Elle ne fut pas comptée parmi les victimes de la catastrophe. Ma fille cadette pleura beaucoup, évacua sa peur, mais garda très longtemps, et aujourd'hui encore, un réflexe de fuite au premier bruit violent. Mon fils ne fêta pas ses vingt-cinq ans ce jour là. Ma sœur et mon beau-frère remirent à neuf leur bel appartement. Ils ont depuis peu réintégré leur ancien lieu de travail totalement restauré. Quant à moi, l'explosion d'AZF, si elle ne me laissa aucune séquelle physique, fit émerger à ma conscience des vérités trop longtemps enfouies et modifia profondément le cours de ma vie. Mais cela, c'est une autre histoire.

Ce message n'a pas d'autre ambition que de raconter –partiellement- ma journée du 21 septembre 2001. Je ne parle ici que de ceux qui me sont proches. Mais ma pensée va bien souvent vers toutes les familles endeuillées par ces morts qui auraient sans doute pu être évitées, les trente morts officielles bien sûr, mais aussi toutes les autres, les morts considérées comme autant de dégâts collatéraux et honteusement exclues des statistiques. Je pense à ceux qui souffrent encore dans leur chair, leur cœur ou leur tête, de cette tragédie, et dont on ne parle plus, à ceux dont les souvenirs d'une vie ont soudainement volé en éclats, un matin lumineux de septembre ... Je pense à eux.


jeudi 11 septembre 2008

Piano aux Jacobins

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Arriver un peu en avance, respirer l'atmosphère si particulière qui précède les concerts, s'en imprégner, profiter de la douceur de cette soirée toulousaine.

Regarder le cloitre se remplir lentement, frémir d'impatience à mesure que l'heure approche, applaudir comme les autres à l'entrée de l'artiste (quelle coutume stupide qui rompt le charme du moment!), se laisser emporter....

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Le virtuose de ce quatrième concert du 29ème festival, Romain Descharmes, est jeune, brillant, brillantissime devrais-je écrire. Après une interprétation magistrale du "poème satanique" de Scriabine, c'est à lui que revenait hier, la création d'un opus difficile: "Le calme des puissances" de Fénelon (celui-là même dont le Faust m'avait enthousiasmée au Capitole). Je dois dire que je n'ai pas été déçue.

Il est des œuvres qui parlent au coeur et d'autres qui s'adressent à l'esprit. Incontestablement "le calme des puissances" est à ranger dans la seconde catégorie. Dix huit minutes entre enfer et purgatoire. Dans la tendre nuit de septembre, ces "puissances" m'ont donné des frissons. Finales très longues, très sombres, sur lesquelles éclatent des gouttelettes de vie, joyeuses parcelles d'un paradis trop vite happé par les ténèbres. Incessantes ruptures de rythme, lutte tenace de la lumière face à la nuit. Et des silences vides d'espérance... Oscillations permanentes entre attente et découragement.Pourtant l'ombre se fait moins pesante, la nuit s'adoucit enfin. Légères griffures lumineuses qui conduisent au final surprenant, porte entrouverte vers d'infinis possibles...

concert2A côté de moi, Chris ferme de yeux. La rangée est immobile, la salle paralysée sous la violence de l'orage. L'artiste fait corps avec l'instrument, accouche de l'œuvre dans une ferveur douloureuse. Seule une infime égratignure rappellera l'intensité du corps à corps...

Après l'entracte, les romances de Brahms me paraissent sans saveur. Juste avant une envoutante interprétation de la Valse de Ravel, flamboyance plus que poésie, alcool fort bien plus que tisane. Un régal !

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Retour par les petites rues du centre de la ville. Les éclairs de chaleurs zèbrent un ciel sans nuage. Les terrasses sont remplies de très jeunes étudiants qui rient et s'interpellent. Je me sens en amour pour ma ville. Depuis si longtemps...


Pour tout savoir sur le festival :
www.pianojacobins.com




jeudi 4 septembre 2008

L'Empreinte de l'Ange


Lorsque j'ai entendu parler de "l'Empreinte de l'Ange" pour la première fois, j'ai cru qu'il s'agissait de l'adaptation cinématographique du livre de Nancy Huston (l'histoire tourmentée d'une jeune allemande dans la période incertaine de l'après-guerre, ses blessures mal cicatrisées et son amour rédempteur pour un autre que son mari). En fait, pas du tout. Le livre et le film portent le même titre mais n'ont strictement rien à voir. Je trouve cela bien étonnant !


Le film raconte quelques semaines de la vie d'Elsa, une jeune femme dont on sent dès les premières images qu'elle cache sous son sourire de façade, une fêlure profonde, un chagrin dont elle ne parvient pas à guérir. Ce n'est qu'au dernier tiers du film qu'on comprend.

Sept ans auparavant, Elsa a accouché dans une clinique de la banlieue parisienne. Une adorable petite fille, son deuxième enfant. Mais très vite ce bonheur tout neuf vire au drame. Un incendie se déclare à l'étage de la maternité. Les fumées envahissent les chambres, asphyxiant certains enfants et leurs mamans. Elsa est retrouvée inanimée, l'enfant mort dans son berceau.

Depuis lors, Elsa, survivante inconsolable, vit la perte de son bébé comme une mutilation insupportable, inconcevable. Incapable de "faire son deuil", persuadée que sa fille est vivante quelque part, elle s'enferme dans un monde parallèle qui l'éloigne de sa propre vie. Son couple implose sous la force du chagrin, son fils ainé subit de plein fouet les ravages de l'obsession maternelle, ses parents sont atterrés...

C'est dans ce contexte névrotique, qu'au tout début du film la vie d'Elsa bascule un peu plus dans une folie délirante. Au hasard d'un goûter d'anniversaire, Elsa croise le regard d'une petite fille, Lola. Cette enfant, elle en est sûre, c'est sa fille. Une mécanique démente et implacable se met dès lors en place. Inexorablement. Comme un rouleau compresseur. Elsa use de tous les subterfuges pour tenter d'étayer sa certitude. Trouver des preuves, savoir la vérité, obtenir des aveux... Le spectateur tétanisé assiste pendant plus d'une heure, avec un malaise croissant, à l'acharnement malsain d'une demi-folle sur une famille sans histoire.


C'est bien joué, bien tourné, angoissant à souhait. C'est surtout très violent, très charnel... Deux femmes se font face, deux mères devrais-je plutôt écrire, tant il s'agit là d'une histoire de tripes, d'instinct, de chair, de lambeaux de corps et de cœur. Les maris, rationnels et pragmatiques n'ont qu'un rôle effacé dans le film. C'est une histoire de femmes, exclusivement. D'ailleurs les hommes qui ont vu ce film (et au tout premier chef, le mien) n'en gardent pas les mêmes images, ni les mêmes sensations que celles qui à mon tour m'obsèdent.

Si une histoire semblable m'était arrivée, aurais-je su me dresser contre l'évidence avec l'obstination d'Elsa? Aurais-je eu, comme elle, la certitude de reconnaitre mon enfant après une si longue séparation? Alors que c'était un nourrisson que j'avais tenu cinq petites journées contre moi? Je n'en suis pas sûre. Et pour la mère que je suis, cette incapacité supposée est extrêmement désagréable à imaginer. A moins, c'est en tout cas ce que je pressens, que survivre à une telle tragédie ne développe chez la femme un sixième sens aigu, une sorte de radar maternel qui demeure embryonnaire lorsque la tribu familiale n'est pas en réel danger...


Comme je ne suis pas une pro de la critique cinématographique, je ne me hasarderai pas à parler mise en scène ou prise de vue. Je me contenterai de souligner que j'ai vraiment beaucoup aimé le jeu des actrices, l'évolution inverse et symétrique de leur apparence tout au long du film, jusqu'à l'apaisement radieux du visage d'Elsa dans les scènes finales. Comme si cette femme, malgré le chagrin, retrouvait enfin son unité. Et c'est très beau.

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empreinte_ange_affichevL'Empreinte de l'Ange
un film de Safy Nebbou
avec Catherine Frot, Sandrine Bonnaire, Vladimir Yordanoff
Sortie : août 2008

lundi 1 septembre 2008

Des romans pour l'année


J'aime bien cette sensation d'une nouvelle année scolaire qui commence. Nouvel agenda, nouveaux projets, listes multiples de choses à faire, de livres à lire, de spectacles à voir, de balades à organiser. Depuis toujours je suis amoureuse du mois de septembre, le mois où tout parait possible, où le temps s'organise, où les journées se densifient.

Parmi les nombreuses listes que je rédige ("pour me rassurer", murmurerait sans nul doute le psy de service), il en est une qui me tient particulièrement à coeur. C'est celle des romans "classiques" que je me promets de lire au cours des 12 mois à venir. Douze auteurs, douze titres. Un par mois.

- A
- Balzac (Honoré de) : La femme de trente ans
- Colette : La retraite sentimentale
- Dickens (Charles) : Les temps difficiles
- E
- France (Anatole) : Les Dieux ont soif
- Green (Julien) : Leviathan
- H
- Ibsen (Henrick) : Hedda Gabler
- James (Henry) : Le tour d'écrou
- K
- L
- Mann (Thomas) : Les Buddenbrook
- N
- O
- Proust (Marcel) : Les plaisirs et les jours
- Q
- Racine (Jean) : Bérénice
- Stendhal (Henri Beyle dit) : De l'amour
- Tcheckov (Anton) : Les trois sœurs
- U
- V, W
- X, Y, Z.

Premier livre : Bérénice de Racine. J'avais assisté à une représentation de la pièce l'an dernier au TNT, et je me promettais de replonger dans le texte original pour tenter d'y retrouver la violence de sentiments que la mise en scène avait ce soir-là (c'est un avis tout personnel) cadenassés pour ne pas dire aseptisés.

vendredi 22 août 2008

Le voyage aux Pyrénées


Autant l'avouer tout de suite: j'adore Sabine Azéma, sa fantaisie et ses taches de rousseur. Et comme j'aime les Pyrénées, leurs paysages sauvages et leurs vallées reculées, il ne faisait aucun doute qu'en cette fin de vacances frisquettes, je m'offrirais un grand bol d'air en allant voir le film des frères Larrieu. Hélas! trois fois hélas! Soit je n'ai pas compris grand chose à la symbolique de l'histoire, soit le scénario est un peu trop embrouillé pour que ma petite cervelle parvienne à suivre les exubérants méandres de la pensée des auteurs...

L'histoire commence plutôt bien pourtant: un couple d'artistes très médiatisés décide de prendre quelques jours de vacances dans les Hautes-Pyrénées, loin de l'agitation de la capitale, à l'abri (relatif) des journalistes et des sollicitations multiples de leur vie parisienne. Une manière sans doute d'essayer de faire renaître l'étincelle d'un désir que des années de vie commune ont (classiquement) étouffé.

Sur ce joli sujet de la fragilité du désir conjugal, la fantaisie loufoque des frères Larrieu aurait pu dessiner un film malicieux ou pour le moins original. Eh bien non ! En dépit de quelques scènes assez cocasses, l'ensemble demeure passablement ennuyeux, invraisemblablement compliqué, truffé de digressions inutiles qui affaiblissent et brouillent le message du film.

Parce que cette petite fable sans queue ni tête a pourtant une charmante morale à usage des "vieux couples", une morale somme toute bien désuette à notre époque mesquine et égoïste où le plaisir personnel compte plus que le bonheur de l'autre. Et c'est sans doute cette belle générosité de la pensée des frères Larrieu qui fait toute la richesse de ce "Voyage aux Pyrénées". Pour le reste...

A noter deux retombées collatérales (et très anecdotiques) de ce film : mon désir subit et irrépressible de balades en montagne cet automne, et mon inscription toute récente dans un club de gym pour garder la forme malgré les années...

lundi 18 août 2008

Versailles


Je suis toujours un peu hésitante lorsqu'il s'agit d'aller voir un film à thèse, un de ces films que l'on dit "engagés", et que bien souvent je ne suis pas capable d'apprécier, faute de savoir distinctement faire la part des choses entre l'explicatif et le subjectif. J'éprouvais une crainte un peu semblable en allant voir "Versailles", premier film de Pierre Schoeller. Une histoire de marginaux vivant dans les bois qui entourent le parc de Versailles, ça me paraissait un peu tiré par les cheveux. En tout cas, je ne sentais pas le sujet, pas du tout même. Et puis, du monde des vrais marginaux, je ne connais rien. Juste les clichés habituels. Qui sans doute sont une manière facile de mettre dans le même sac des individus aux histoires singulières.


Pourtant, dès le début du film, mes craintes se sont envolées. Pas de misérabilisme ou de bons sentiments larmoyants; pas de caractères grossièrement dessinés pour faire passer le message de l'auteur, aucune de ces facilités qui plombent souvent les scénarios. Au contraire. Tout dans ce film est travaillé avec finesse et, me semble-t-il, beaucoup de justesse. Et principalement le caractère et le parcours des deux héros, totalement différents. Bien sûr, la vie à la rue déclenche chez eux les même réflexes de défense et d'endurcissement, les mêmes colères face à la paperasserie et à l'administration, la même rage face à l'incompréhension. Mais les convergences s'arrêtent là. Alors que Nina, la très jeune mère d'Enzo met toute son énergie à sortir de la galère, Damien rejette fondamentalement la société, ou plus exactement la méprise. Et l'attachement du petit garçon, si fort soit-il, ne parviendra pas à l'arracher à son mode de vie solitaire et marginal (même s'il ne s'agit en l'espèce que d'une solitude mineure, dans une micro société reconstruite à son image, juste à la lisière de la ville).


Parce que finalement Damien est un drôle de marginal: un homme qui semble avoir eu une enfance structurée, qui connaît les codes et les règles de la vie en société mais en refuse les exigences. Toute idée d'obligation lui pèse comme un asservissement dont il n'a de cesse de se libérer. Un psy irait sans doute chercher très loin dans l'enfance les causes de cette vie en zig-zag, de cette incapacité à supporter les contraintes (qu'il impose finalement aux autres, sans aucun état d'âme). A ce stade, je dois avouer que ce type d'attitude me rend viscéralement allergique. Je n'ai pas beaucoup de certitudes dans la vie, mais ma conception du respect de la liberté d'autrui, me conduit à penser que chacun a le droit de vivre comme il l'entend, même celui de ne pas travailler ("j'me casse; on n'est pas des bêtes" dit Damien après quelques jours de travail dans une entreprise de bâtiment) et de vomir sur la société. Chacun en a le droit. En contrepartie, il me paraîtrait cohérent de ne pas appeler systématiquement à l'aide le "système" (social ou familial) que l'on a si ardemment dénigré. Question de logique, mais pas si évidente que ça, finalement. En tous cas, pas pour Damien. Et c'est peut-être ce côté calculateur qui me le rend franchement antipathique.



Nina, c'est tout le contraire. Elle erre, seule avec son fils dans la ville, dort dans des cartons, s'autorise une toilette de chat entre deux voitures en stationnement. Pas de boulot, pas de logement, un jeune enfant qu'elle aime, mais dont elle perçoit confusément qu'il constitue un obstacle entre elle et son insertion dans le monde du travail. Parce qu'elle veut travailler Nina, se former, se couler dans le moule. Elle a des rêves tout simples, et une incapacité à ouvrir la bonne porte.

Lentement l'histoire se met en place. Une rencontre improbable, dans les bois qui entourent le château de Versailles, une opportunité formidable de modifier le cours d'une vie qui n'est plus qu'une survie. Nina abandonne son fils à Damien le temps de se construire ailleurs. Dès lors Nina et Damien vont vivre des jours différents. Tandis que l'une échappe à un destin trop vite scellé, l'autre découvre la force d'un sentiment bien proche de l'amour paternel. Pour Enzo, il fera quelques entorses à ses principes de vie, renouant même en apparence un ersatz de dialogue avec son père, auquel il confiera de facto la garde du petit garçon.


En regardant le film, je me demandais comment un enfant ballotté comme Enzo pourrait, dans sa vie d'adulte, accorder sa confiance. Marchant des heures toute la journée à coté de sa mère, dormant avec elle sur des cartons, ne parlant qu'avec elle, il n'a pas d'autre attache que Nina. A cet âge où la personnalité d'un enfant se structure, elle est son seul point fixe. Et voilà qu'elle l'abandonne. A un inconnu. La détresse du regard de l'enfant (merveilleux petit acteur) donne la mesure de la douleur de l'abandon. Alors Enzo s'accroche à Damien avec toute la force de son amour, cette fidélité silencieuse et absolue qui oppresse le spectateur qui imagine, hélas, la suite de l'histoire. Damien l'abandonne à son tour, repart dans sa vie marginale. L'enfant reste là, immobile dans le jardin des parents de Damien, sonné. Ma fibre maternelle a été bien malmenée au cours de cette séquence...

Le regard de Pierre Schoeller sur l'enfance a quelque chose de très émouvant. Et de souvent très juste. Il y a en particulier dans le film une scène absolument sublime et qui en même temps appelle le sourire des grands adultes que nous sommes. C'est celle dans laquelle le petit Enzo, que Damien secoué par une violente pneumopathie envoie chercher du secours, se met à courir vers le château, en grimpe l'escalier central aussi vite que ses petites jambes le lui permettent, traverse les salles en enfilade jusqu'à la chambre royale et appelle à l'aide celui qu'il prend pour le Valet du Roi (et dont un jour Damien, racontant une histoire, lui avait expliqué qu'il pouvait résoudre tous les problèmes). Merveilleux petit bonhomme!

Quelques critiques ont comparé Enzo au Kid de Chaplin. C'est vrai qu'il y a une certaine filiation, si je peux dire, entre les deux personnages, cette petite main qui veut serrer celle de l'adulte, cet attachement sans limite ni calcul, et surtout ce regard confiant de l'enfance. Il faut dire que le film de Schoeller est servi par le choix d'acteurs exceptionnels dans leur rôle: Guillaume Depardieu qui donne le sentiment de vivre le film plutôt que le jouer, visage émacié, chevelure poisseuse, démarche chaotique, et Max Baissette de Malglaive dont le regard traduit à la nuance près tous les sentiments qui l'habitent. Extraordinaire!

Je me rends compte que je suis bien bavarde, que je m'attarde peut-être trop longuement sur ma perception de ce film. Mais il est à mon avis une réelle réussite (porté par des acteurs inspirés), un de ces rares films à plusieurs entrées qui autorisent des lectures multiples et qui cheminent en nous longtemps après que les lumières se soient éteintes...

versailles2

mardi 12 août 2008

Premiers mots

Mes vacances sont finies, du moins en partie, mais je n'en ai pas de regrets. En fait, j'ai toujours aimé passer le mois d'août en ville. Il me semble que ces quelques semaines de vacuité relative me permettent de me ressourcer bien plus que je ne le ferais dans la moiteur et l'agitation d'un bord de plage surpeuplé. Dans le calme de l'été, je range la maison, je trie les papiers, je rattrape le retard accumulé au fil des mois. Et puis je fais des projets, je laisse les rêves se dérouler lentement, je leur donne une vie imaginaire, si précieuse à l'équilibre de mon quotidien. Plus prosaïquement je prépare mon emploi du temps de la rentrée. Petits plannings, listes d'un peu tout dans un vrac désolant. Mes ambitions se heurtent à la réalité du temps qui coule, qui glisse sans que j'en garde trace.

C'est à l'heure où tant de blogs ont activé le mode "pause" qu'il me vient une envie d'écriture différente, une envie de webjournal personnel. Plus facile à rédiger qu'un journal papier (finies les ratures !), plus élégant dans sa présentation que de simples pages word, c'est un outil attirant. Ecrire, insérer des photos, classer textes, notes de lectures ou impressions du moment, se rappeler un spectacle, une exposition, un voyage, donner une seconde chance à l'éphémère...

Serai-je assez persévérante pour consciencieusement rédiger mes messages, assez vigilante pour distinguer l'essentiel du futile ? Serai-je assez douée pour conserver la mesure et la distance nécessaires à l'exercice ? Je ne sais pas encore...
Mais au fond, qu'importe ? Je crois que je vais me lancer.